Qui après nous vivrez by Hervé Le Corre

Qui après nous vivrez by Hervé Le Corre

Auteur:Hervé Le Corre [Hervé Le Corre]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Rivages
Publié: 2024-01-10T07:18:47+00:00


13

Depuis des semaines, les attaques de l’ennemi et les expéditions punitives ne cessent plus. Il y a dix jours, les hommes sont revenus avec huit prisonnières qui ont été mises aux enchères sur la grand-place. Les captives, nues sur une estrade, exhibées, palpées avec impudeur, tremblaient et pleuraient. L’une d’elles, très jeune, perdait son sang, qui ruisselait sur ses cuisses. On a beaucoup ri, crié, plaisanté. Les hommes, surtout, même si quelques femmes parmi les plus enthousiastes ont exigé que les unions soient consommées tout de suite, en public. Pour faire payer à ces truies la mort de leurs époux et frères. Il a fallu l’intervention de Lewis pour que l’assemblée présente renonce à ce spectacle.

Alice remplit des sacs de terre que d’autres femmes ferment sommairement d’une couture grossière puis elles les portent jusqu’aux positions que les capitaines ont décidé de fortifier. Les rues sont désormais encombrées de chicanes, de barricades. Des maisons ont été réquisitionnées parce que leurs étages constituent de bons postes de tir pour les snipers.

Le soir, les femmes du commando se traînent jusqu’à chez elles rompues, crasseuses, se tenant le dos, cassées en deux comme des vieilles. Toi au moins ce soir tu auras la paix, disent-elles à Alice. Alice ne sait pas si elles sont sincères ou si elles sondent le fond de sa pensée alors elle ne répond pas, elle se contente de sourire et de leur souhaiter le bonsoir quand elle arrive devant sa porte. Profites-en tant que ça dure, ajoutent-elles. Elles savent que la période de veuvage et de deuil ne dure que trois mois. Alice compte les jours qui restent. Elle sait ce qu’elle aura à faire.

Ce soir, elle passe chercher Nour à l’école. Les enfants ne dorment plus sur place à cause des attaques nocturnes. Nour a neuf ans aujourd’hui. Elle sautille sur les pavés en chantonnant un air de sa façon.

– T’as fait un gâteau ?

– Un gâteau ? En quel honneur ?

Alice éclate de rire. Elle se laisse aller à ce plaisir.

Nour feint d’être fâchée. Ses cheveux noirs engloutissent son visage baissé.

Le gâteau est couvert de crème et de confiture. Quelques quartiers d’orange caramélisés. Nour goûte du bout du doigt. Elle ne dit rien. Elle contemple, émerveillée, l’œuvre de sa mère. On croirait qu’elle n’ose pas lever les yeux vers elle. Elle essuie quelques larmes du revers de la main.

Alice sort de sa poche un appareil plat, noir, luisant. Elle l’a trouvé dans la pièce réservée d’Abdel. Elle a pu le recharger grâce aux cellules photovoltaïques dont il est équipé. Deux soirées à explorer le mode d’emploi de l’appareil. Elle se rappelait vaguement en avoir vu aux premiers temps du désastre quand quelques égarés espéraient encore qu’un réseau quelconque pourrait être rétabli.

Regarde-moi.

Alice photographie l’air stupéfait de la petite devant cet objet (Qu’est-ce que c’est ?) puis son sourire. Regarde. Nour crie de joie en voyant son image sur l’écran. Alice la serre contre elle. Nour s’extasie devant leurs visages hilares dans cet étrange petit miroir. Léger bourdonnement. Alice prend une dizaine de photos.



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